Un voyage se construit autour d’un planning, mais il s’agrémente toujours de surprises imprévues qui lui font prendre une direction que l’on n’aurait jamais pu imaginer à l’avance. Un concours de circonstances, le destin, la chance (peu importe le nom qu’on lui donne) m’auront permis de voir l’empereur Akihito ce 18 avril 2019. Récit d’une rencontre inédite !
L’empereur Akihito à la recherche des joyaux impériaux
L’histoire commence au comptoir de notre ryokan à Futaminoura, petite station balnéaire proche de la ville d’Ise. Après une semaine entre chemins de pèlerinage et sanctuaires de la préfecture de Wakayama, ces deux jours de repos en front de mer allaient nous faire le plus grand bien. Malgré un rythme plus tranquille, nous avions quand même prévu de visiter le grand sanctuaire shinto d’Ise-jingu.
Sauf que l’empereur du Japon avait aussi eu cette idée de génie. Les responsables du ryokan nous ont annoncé la nouvelle en nous remettant les clés de la chambre, avec une mine déconfite. La ville allait être complètement quadrillée par les forces de l’ordre, les transports réorganisés, et le sanctuaire inaccessible jusqu’à 16h du fait des cérémonies privées réservées à l’empereur. Sachant qu’Ise-jingu ferme ses portes à 17h, ça risquait d’être très compliqué de maintenir nos projets initiaux selon eux. Effectivement, ça s’annonçait plutôt mal, mais on ne s’est finalement pas découragés en tentant quand même une visite d’Ise malgré la situation.
Si l’empereur Akihito est venu à Ise-jingu, ce n’est pas un hasard. Après plus de trente ans sur le trône impérial, il a demandé l’abdication à l’aube de ses 86 ans, un fait inédit au Japon pour cette dynastie de droit divin la plus longue de l’histoire (plus de 2600 ans d’âge !). Imaginez le séisme dans ce pays qui connaît normalement une transmission de la charge impériale au décès du père, intronisant alors le fils. Il a même fallu voter une loi particulière pour répondre à la demande de l’empereur.
Et pour accomplir la cérémonie de passation du pouvoir à son fils Naruhito, Akihito a dû réunir les trois joyaux sacrés de la couronne, conservés depuis des siècles par la maison impériale et les prêtres shinto :
- le magatama (un bijou de pierre en forme de virgule), conservé au palais impérial à Tokyo,
- le miroir d’Amaterasu, déesse du soleil et mère de tous les empereurs du Japon, protégé ici à Ise,
- l’épée de Kusanagi, gardée au sanctuaire d’Atsuta jinja à Nagoya.
Voilà donc la raison de sa présence à Ise.
Au milieu du cortège !
Le discours alarmiste du ryokan ne s’est finalement pas concrétisé sur le terrain car, même si de nombreux Japonais avaient fait le déplacement pour soutenir et acclamer leur empereur en ce jour si spécial, l’organisation était exemplaire pour permettre à la foule de vivre ce moment historique. La zone jouxtant le sanctuaire était bien bouclée par la garde impériale, facilement reconnaissable à son insigne de chrysanthème doré arborée sur les uniformes et véhicules… il y a un petit côté « Playmobil » vous ne trouvez pas ?
On s’est donc regroupés le long des barrières du boulevard principal avec les autres participants pour attendre le cortège impérial. Nous étions les seuls touristes du secteur et on dénotait complètement dans cette foule sans être équipés de petits drapeaux. Je me suis malheureusement fait repérer par la chaîne de TV ZIP, qui m’a posé quelques questions en anglais. Plutôt amusé sur le moment, l’interview m’a été très pénible en vérité, car ils réorientaient les questions jusqu’à obtenir de ma part les réponses qu’ils espéraient : « oui je suis très heureux pour les Japonais, oui on connait TOUS l’empereur Akihito en France, oui on sait qu’il a été un GRAND empereur pour le pays ». Voilà voilà, vous voyez le tableau… Je leur ai finalement donné ce qu’ils attendaient pour me libérer et ne pas manquer le défilé.
La foule a commencé à s’agiter au passage des premières motos, avant de s’écrier « banzai » devant la voiture officielle transportant l’empereur et sa femme. Méga chance :
- il était de notre côté,
- je n’ai pas eu de drapeau dans le viseur
- les photos ne sont pas floues 😍 !
Petit geste de la main, hochement de tête. Applaudissement de la foule pendant 15 secondes. Tout est allé très très vite. Les portes du sanctuaire d’Ise-jingu réouvraient dans la foulée à 16h pile, avec une ponctualité impeccable. Grâce à mon pocket WiFi, j’ai même pu partager ma photo en quasi direct sur Instagram, devançant BFM TV de plusieurs heures sur ce coup-là (petit plaisir totalement inutile !).
Une visite du sanctuaire d’Ise-jingu sur les chapeaux de roues
Nous avons donc suivi le mouvement pour nous engouffrer dans le sanctuaire d’Ise-jingu, tels des salarymen dans une bouche de métro aux heures de pointe.
Les personnes présentes ici tenaient à faire une prière ou acheter des charmes à la suite de la famille impériale. Cette petite heure sera trop courte pour visiter l’ensemble de l’immense domaine, dont de nombreux secteurs sacrés sont protégés par des cordelettes shimenawa, reconnaissables facilement par leurs bandes de papier. Nous avons juste eu le temps de nous diriger vers le pavillon principal pour faire une petite prière nous aussi. La ferveur était incroyable et l’architecture du sanctuaire tout autant. Le style très épuré dénote avec les autres sanctuaires de l’archipel car il n’utilise que des matériaux bruts et n’affiche aucune couleur. Les bâtiments sont construits dans des clairières défrichées, garnies de gravillons blancs éclatants qui contrastent avec la pénombre du sous-bois, créant un effet saisissant de jour/nuit. Dans l’encadrement de la porte devant l’autel, un immense voile blanc semi-transparent nous empêchait de voir le saint des saints. Il voletait doucement au gré du vent, comme si ses ondulations voulaient nous chuchoter un message.
S’il peut paraître dénudé et brut au premier abord, j’ai trouvé au contraire que ce site était très impressionnant par la force qu’il arrive à dégager. Nombreuses zones interdites d’accès et de photo, effet saisissant d’ombres et de lumière, autel à la fois caché et visible… tout son aménagement consiste à suggérer une présence divine, à la fois proche et inaccessible.
Cette visite au sanctuaire d’Ise-jingu aura finalement été un beau petit succès ! Evidemment je vous recommande chaudement de vous y rendre, même sans attendre l’empereur, en gardant bien à l’esprit que la beauté du sanctuaire fait davantage appel au ressenti et à l’émotion qu’à une esthétique visuelle plus accessible à tous.
Pour en savoir plus
Site officiel du sanctuaire d’Ise-jingu (français) : https://www.isejingu.or.jp/fr/index.html
Site officiel des transports en bus Mie kotsu (anglais) : https://www.sanco.co.jp/foreign/english/shuttle/ise/geku.html
Le fait d’avoir croisé l’empereur est une opportunité très amusante, mais le côté ressenti du temple donne vraiment envie d’aller s’en rendre contre par sois-même. Merci beaucoup pour cet article !
Merci Marc,
Ce n’est pas toujours facile de retranscrire par écrit ce qu’on ressent sur un instant ^^, ce sanctuaire mérite vraiment une visite !
Alors il y a un truc qui est incroyable, c’est que moi aussi j’étais dans le coin mais… le lendemain ! J’ai croisé le cortège sur la route alors qu’ils rentraient probablement vers Tokyo. C’était le 19 avril de l’an dernier 🙂 Je me suis fait un haikyo très sympa et un super resto à Sushi délicieux d’ailleurs, ce jour là. Mais c’est marrant que nous étions tout les deux pas très loin l’un de l’autre finalement, de même que l’empereur !
Oh c’est fou, si on avait su ! J’aurai bien fait mon baptême de haikyo avec toi (le gars qui s’incruste XD). Je logeais à Futaminoura et effectivement, je pense qu’il y a de quoi faire au niveau des bâtiments abandonnés dans le secteur. Il y a de superbes maisons qui tombent en ruine, voire même de vieux ryokan. La prochaine fois, on se fait une soirée avec l’empereur dans un izakaya ? Il est dispo maintenant que son fils a repris le flambeau !