Découvrir les estampes au musée Guimet

En juin dernier, j’ai eu la chance d’être invité par le musée Guimet (Paris) pour découvrir la nouvelle exposition temporaire intitulée « Paysages japonais, de Hokusai à Hasui » (du 21 juin au 2 octobre 2017), qui présente une centaine d’estampes japonaises dont la célèbre grande vague de Hokusai. Un évènement rare à ne pas manquer !

L’estampe japonaise depuis 3 siècles

L’exposition est centrée sur la représentation des paysages qui s’est développée durant l’époque Edo. Avec l’unification du Japon par le clan Tokugawa, les seigneurs sont obligés de séjourner une année sur deux en alternance entre leurs domaines en province et Edo, la nouvelle capitale de l’Est (aujourd’hui Tokyo), où une partie de leur famille est carrément retenue en otage 😭 ! Cette règle drastique marque le début de deux siècles de paix sur l’archipel, et accompagne le développement de routes commerciales nécessaires aux voyages des seigneurs et de leur cour à travers tout le pays. Les déplacements sur les voies légendaires du Tokaido ou du Nakasendo ont permis l’émergence du tourisme et la découverte des magnifiques paysages de l’archipel que des artistes comme Hokusai et Hiroshige ont figé dans leurs estampes, véritables cartes postales d’un autre temps. L’exposition nous présente ici plusieurs de ces « vues » correspondant chacune à des étapes le long de ces routes : voici un échantillon de la série des « 53 relais du Tokaido » de Hiroshige.

Les estampes japonaises ou ukiyo-e étaient conçues pour être diffusées en grand nombre. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il ne s’agit pas d’une peinture mais d’une impression à partir d’une matrice. Un artiste réalise d’abord un dessin à la main qu’un graveur se charge de reproduire en sculptant le motif en relief sur une planche de bois. On va alors déposer de l’encre sur cette planche comme sur un tampon pour l’appliquer ensuite sur une feuille et imprimer l’estampe. La technique est vraiment complexe car le sculpteur devra graver autant de planches de bois que de couleurs composant l’estampe. Au final : il lui faut en effet un tampon pour les contours + 1 tampon par couleur de remplissage, ce qui explique que chaque tableau dépasse rarement le format A4. La phase de sculpture était donc très longue à réaliser mais le résultat est impressionnant : les détails dans l’image sont incroyablement fins et les teintes vraiment sublimes (notamment le bleu).

 

La grande vague de Hokusai à la loupe

Le clou de la visite est évidemment la grande vague de Hokusai qui est dissimulée sous un tissu opaque afin de la préserver.

Mais pourquoi cette estampe est-elle donc si célèbre ? Au-delà de la beauté de ses teintes et notamment de son bleu profond, c’est la composition et le style de l’image qui en fait un chef d’œuvre. Le thème central présente le mont Fuji vue depuis la baie de Tokyo, presque noyé par une mer déchaînée  sur laquelle des bateaux de pêcheurs naviguent tant bien que mal.

La composition est complètement novatrice et très dynamique. On a vraiment l’impression d’une profondeur dans l’image (le mont Fuji semble vraiment loin), contrairement aux autres estampes de l’époque qui jouent peu sur les perspectives et qui présentent une image beaucoup plus plate. Hokusai a également choisi de placer la ligne d’horizon dans le tiers inférieur, laissant ainsi une grande place au ciel. Cela a pour effet de mettre en valeur l’immense vague du premier plan, décalée sur le tiers gauche. Le mont Fuji semble alors bien loin, ce qui renforce l’importance des éléments naturels déchaînés dans la lecture de l’estampe. L’utilisation de cette règle des tiers est aujourd’hui encore une règle de base dans la composition en photo !

Le thème des flots déchaînés synthétise admirablement bien le rapport des Japonais à la Nature. Le Mont Fuji, symbole de la nation, reste un point fixe au loin, signe d’une maigre stabilité. Il est cerné par les vagues tempétueuses qui représentent les multiples cataclysmes qui s’abattent régulièrement sur le Japon (séismes, tsunamis, typhons, éruptions volcaniques) et qui malmènent les hommes dans leurs barques bien frêles, qui ne peuvent que subir et essayer de s’en sortir du mieux qu’ils le peuvent. Cela résume bien le sentiment d’impermanence des choses que l’on retrouve aussi dans la tradition de hanami (contemplation des cerisiers au printemps, dont je vous expliquais le symbolisme dans cet article). Au Japon, on subit la puissance ou la beauté de la Nature, et il faut l’accepter. Ce tableau est donc également une synthèse entre le bouddhisme (l’homme s’inscrit dans un univers éphémère), et le shintoïsme (la Nature est toute puissante et est habitée par des divinités, les kamis). Mais Hokusai ne s’arrête pas là dans les symboles ! On peut aussi voir de manière imagée le yin clair dans le blanc de la grande vague, avec le yang sombre dans le noir du ciel. Je vous ai fait un petit montage photo pour vous aider à mieux le trouver 😉 !

Pour toutes ces raisons, la grande vague de Hokusai a profondément marqué son époque, au Japon mais également en Europe, remarquée par le mouvement des peintres impressionnistes dont Claude Monet en tête, qui a contribué par son intérêt à la populariser en France.

 

Les estampes modernes

L’exposition permet aussi de présenter des artistes du XXème siècle comme Hasui qui ont renouvelé le genre en se réappropriant la technique de l’ukiyo-e. Je suis littéralement fan ! Certains tableaux sont un mélange entre estampes traditionnelles et annoncent le style des futurs mangas. Certains traits font même penser à la BD ! Le rendu est vraiment moderne mais il garde, par la technique utilisée, la charme et le profondeur des couleurs si typique aux estampes.

 

Fin de la présentation, je ne vous livre pas tous les secrets de cette expo et vous invite à courir au musée Guimet avant qu’elle ne se termine le 2 octobre ! N’hésitez pas à profiter du reste de la journée pour parcourir les autres salles du musée dédiées aux arts de l’Asie !

En savoir plus :

Site officiel du musée Guimet : http://www.guimet.fr/fr/

Retrouvez cette adresse et bien d’autres dans le guide Inu inu « Vivre le Japon sans quitter Paris » en version papier ou en ebook !

 

5 commentaires sur “Découvrir les estampes au musée Guimet

  1. Hello,
    L’amatrice d’Art que je suis ne peux que saluer ton approche de la Grande Vague 🙂
    Il y a aussi une expo au British Museum, les places sont assez difficiles, il faut s’y prendre bien à l’avance mais il paraît que ça vaut le coup.
    Bises
    Ara

    1. Merci !!! Je ne savais pas qu’il y avait aussi une expo au British museum. Est-ce que tu sais si la grande vague est prêtée ou si elle fait partie de leur collection comme à Paris ?

  2. J’adore les estampes et surtout celles d’Hokusai, j’ai pas eu l’occasion d’aller au nouveau musée ouvert à Tokyo, du coup ça me donne vraiment envie d’aller faire un tour au musée Guimet pour les voir. Merci pour l’article et surtout pour tes explications sur la vague, c’était vraiment super intéressant !

    1. Merci ! Même si le musée Guimet possède un exemplaire de la grande vague d’Hokusai, elle est rarement montrée au public. C’est vraiment une super occasion de la voir si tu en as la possibilité !

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