Le déconfinement signe enfin la réouverture des musées mis en sommeil depuis plusieurs mois. Pour ma part, j’attendais avec impatience celle du musée Cernuschi à Paris qui programme actuellement une exposition d’estampes exceptionnelles. « Voyage sur la route du Kisokaido » présente une collection très peu montrée au public et qui mérite largement la renommée des œuvres du maître Hokusai.
Musée Cernuschi : les estampes du Kisokaido
Si vous ne connaissez pas encore le musée Cernuschi, cette exposition devrait vous permettre de pousser ses portes. Henri Cernuschi (1821-1896) a dédié une partie de sa vie à la constitution d’une collection centrée sur les arts asiatiques. Exposée depuis l’origine dans son hôtel particulier en bordure du parc Monceau, elle a depuis été léguée à la ville de Paris. Je ne suis pas venu pour l’espace permanent aujourd’hui, mais pour une exposition temporaire dédiée aux estampes de la route du Kisokaido, autrement appelée Nakasendo.
Cette route était l’une des 5 grandes voies d’accès reliant Kyoto à Edo (actuelle Tokyo) durant la période Tokugawa. Elle était empruntée une année sur deux par les seigneurs et leur cour, contraints de laisser leur famille en otage à Edo, sous la mainmise du shogun. Une mesure radicale qui a mis fin aux guerres incessantes et qui marqua le point de départ d’une période faste de 250 ans de paix.
La route la plus célèbre pour effectuer ces navettes entre les deux villes était le Tokaido. Son tracé longeant les côtes Pacifique était sûr, et sa popularité en son temps a été largement diffusée via les estampes réalisées par Hokusai. Fort de ce succès, d’autres artistes ont décidé de se lancer dans la réalisation d’estampes autour d’une autre route. Le Kisokaido serait un bon sujet !
Un trajet de montagne
L’exposition regroupe ici plusieurs séries réalisées par Hiroshige (1797-1858) et Eisen (1790-1848), revisitées ensuite par Kunisada (1786-1865) et Kuniyoshi (1797-1861). Ce sont donc plus de 200 estampes qui sont présentées au public !
Chacune d’entre elles est un hommage à la beauté des paysages japonais, et une vraie encyclopédie sur les coutumes entourant cette route mythique. Comme pour les œuvres de Hokusai sur le Tokaido, Eisen et Hiroshige ont réalisé des vues à chaque grande section de la route, notamment autour des relais, ces villages-étapes dans lesquels les voyageurs s’arrêtaient pour la nuit.
A la fois cartes postales et récits de voyages, les estampes présentées ici se lisent littéralement comme un manga. Les scènes sont très détaillées et suffisamment réalistes pour qu’on appréhende ce qu’impliquait le concept de « voyager » sur cette route. L’expérience se situait à mi-chemin entre de la randonnée difficile face aux intempéries, la contemplation de panoramas bucoliques, des expériences de vie lors des périodes de repos dans les relais.
La scénographie de l’expo est vraiment réussie car en appui aux estampes, le musée Cernuschi a eu la bonne idée d’exposer des objets en relation avec les scènes présentées comme une armure de samouraï, des coffrets à tabac, ou des boîtes à bento richement décorées.
La seconde partie de l’exposition dédiée aux estampes de Kunisada et Kuniyoshi était superbe elle-aussi mais elle m’a un peu moins intéressé. Ces deux artistes ont décidé de réinterpréter l’estampe et choisissant comme sujet principal une scène de kabuki ou de la mythologie japonaise pour chaque lieu (en fonction de contes locaux, de jeux de mots), le paysage étant relégué dans un médaillon. La compréhension du choix de tel ou tel personnage était donc un peu moins évident à saisir, j’ai donc davantage profité de l’esthétisme et des couleurs de chaque oeuvre.
Analyse d’une estampe : l’art de la composition
Si j’aime les estampes pour leur esthétisme, je les adore aussi pour leur sens de la composition qui reste une vraie source d’inspiration pour moi, et que j’applique parfois (modestement) dans mes photos. Je vous propose donc une petite explication ci-dessous qui vaut ce qu’elle vaut car elle correspond à mon analyse personnelle. Voici donc l’estampe que j’ai choisi de vous présenter en détails.
La première chose qui m’a marqué dans la composition, c’est d’abord l’organisation générale de la scène qui est pensée pour que l’œil soit dirigé vers le point de fuite (rouge) au centre de l’image. Les bâtiments sur le côté et la forme des pins dessinent un losange central qui capte le regard. Cette concentration vers le point de fuite est encore accentué par la direction du regard des personnages latéraux ainsi que par le sens de la marche des personnages (flèches rouges). Pas de doute, le sujet principal est ce groupe de marcheurs.
L’estampe présente également des jeux d’oppositions. Une direction verticale est très marquée (en bleu) par les troncs des arbres, les cloisons des bâtiments, les inscriptions calligraphiées ou encore les gouttes de pluie. Le niveau horizontal est également bien accentué (en vert). Il se matérialise physiquement par le plan droit des tatamis dans le bâtiment, la limite du toit, le sol rectiligne au niveau du point de fuite ou encore la ligne des parapluies et des chapeaux. Mais il est également suggéré par des variations de teintes en bas de l’estampe (brun foncé/brun clair) et au niveau de l’horizon (ciel bleuté/blanc).
Tout ces éléments font que l’œil est inconscient guidé vers le point de fuite, mais qu’il va aussi se perdre du fait des oppositions. On va donc prendre le temps de naviguer dans l’estampe pour découvrir les détails, suivre de multiples chemins. Je retrouve aussi ce principe dans l’organisation de certains jardins japonais, peut-être l’un des secrets de la beauté ?
Le musée Cernuschi en pratique
📅 Vous avez jusqu’au 8 août 2021 pour profiter de l’exposition « Voyage sur la route du Kisokaidō. De Hiroshige à Kuniyoshi ».
⌚ Horaires : ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h. Comptez une heure minimum.
🎫 La réservation en ligne est obligatoire avant la visite, elle se fait en ligne via le site officiel du musée : https://www.cernuschi.paris.fr/fr. L’accès à la collection permanente ne nécessite pas de réservation.
💰 Tarif de l’exposition : 9 €.
Cet article est écrit en partenariat avec le musée Cernuschi qui m’a invité. Je n’en reste pas moins libre de mon jugement et de mon opinion.
Ouah tu as été tellement efficace pour cet article ahah ! J’y suis allée une semaine avant toi et mon article ne sortira pas avant le mois prochain, la honte :p
J’ai adoré cette exposition, un vrai plaisir. Les estampes sont magnifiques et, comme toi, je me suis longtemps perdue à imaginer ce que pouvaient ressentir tous ces personnages entrain de vivre l’incroyable expérience de ce voyage.
La deuxième partie m’a beaucoup étonnée car je ne m’attendais pas du tout à ça, mais j’ai beaucoup aimé ! Dommage qu’on ne puisse pas tout saisir à cause de la langue et de la culture.
Merci beaucoup pour ce petit cours de composition, tu m’as appris des choses ! J’essayerais de décomposer par moi-même la prochaine fois 🙂
Je viens de lire ton article et il est très bien aussi, et finalement c’était bien de le lire avec un mois de décalage, ça m’a fait revivre l’expo !
Merci pour cet article super intéressant ! Cet expo est dans ma liste avec celle du Musée Guimet, et j’ai encore plus hâte de la découvrir maintenant, tes photos sont magnifiques et c’est vrai qu’on pourrait passer des heures à observer les estampes en détail (c’est d’ailleurs ce que je vais faire là-bas ;))
Edith
Bonjour Edith, merci pour le commentaire et désolé pour la réponse tardive ! Presque 3 semaines pour répondre, j’ai fait fort…
J’espère que tu as eu l’occasion d’aller voir l’expo depuis et que tu as apprécié !